Monsieur Zidane, si vous permettez...

Petite déclaration que François Cuneo m'a autorisé à reproduire sur mon site car il exprime vraiment mon opinion sur ce truc.


Monsieur Zidane,
J'ai hésité à prendre mon clavier pour vous dire immédiatement ce que je pensais de ce qui est arrivé lors de cette finale de coupe du monde, et puis j'ai préféré attendre un peu.
Et j'ai bien fait, parce que voyez-vous, ce que j'ai à vous dire n'est plus tout à fait la même chose.
Maintenant que je rentre de deux semaines dans votre beau pays, que j'y ai vu quelques réactions un tout petit peu sidérantes à votre propos, mais que les choses se sont un peu calmées, je tiens tout de même à vous faire savoir, si par hasard vous nous lisez au détour d'une recherche Google, les quelques questions que je me pose à propos des suites de ce qui s'est passé ce fameux soir du 9 juillet.
Je voudrais d'abord vous dire à quel point je vous admire en tant que footballeur. Encore deux minutes avant le moment fatidique, je m'exclamais sur votre coup de patte à nul autre pareil, qui nous enthousiasmait à chaque fois que vous effleuriez le ballon.
Vous êtes un gars qui avez du génie, dans votre domaine, c'est vrai.
Et puis, soudain, vous avez
pété les plombs comme ils disent à la radio ou à la télévision, comme ils écrivent dans les journaux. Pété les plombs… Quelle vilaine expression, et tellement à la mode… On tue toute sa famille, on a pété les plombs, on massacre des gens dans un bistrot, on a pété les plombs. On va bientôt pouvoir faire n'importe que dans ce bas monde, cela s'expliquera par le fait qu'on l'on aura pété les plombs…
Moi sur le moment, j'ai été très triste pour vous. Me dire que vous quittiez comme ça le monde du foot, c'était vraiment dur. Le fait de voir que vous ne veniez même pas recevoir votre médaille de vice-champion du monde, c'était vraiment quelque part bouleversant.
Cela dit, vous avez agressé un joueur, avec une violence que l'on ne voit tout de même que très rarement, et c'est heureux, sur un terrain de foot.
Certes, Materazzi n'est pas un ange. C'est même certainement un pauvre type. Un de ces footeux qui représente tout ce que je déteste, tirailleur de maillot, destructeur, et très certainement insultant, peut-être même raciste.
La plupart des journaux français, et même suisses, ont trouvé dans ces injures non pas une excuse (quoique pour certains, c'était le cas) mais une raison qui expliquait votre geste.
Oui, vous vous êtes excusé.
Je précise que je n'ai pas vu ces excuses, mais que j'ai lu de nombreux comptes rendus de votre passage en exclusivité sur Canal+, votre partenaire qui a dû être très fier de votre fidélité et a dû être tout content du taux d'audience certainement exceptionnel de votre conférence de presse annoncée largement à l'avance.
Il n'y a pas de petits profits n'est-ce pas…
Cela dit, j'apprécie le fait que vous vous soyez excusé auprès des enfants et des éducateurs.
J'apprécie beaucoup moins que vous ne regrettiez pas votre geste, sous prétexte que si vous le faisiez, cela signifierait que "l'autre" avait raison comme vous le dites.
Parce que vous voyez Monsieur Zidane, ce "non-regret", eh bien ça bousille complètement vos excuses.
Savez-vous Monsieur Zidane que dans l'exercice de mon métier d'instituteur et de doyen, je vois très régulièrement des élèves que je dois remettre à l'ordre suite à des violences plus ou moins graves, et que ces enfants ont très souvent l'excuse qui tue pour expliquer leur acte violent: "oui mais il m'avait insulté: il m'avait traité de fils de pute".
Savez-vous Monsieur Zidane que nous passons de longs moments à leur expliquer, à ces élèves, que ces insultes ne sont pas une raison pour être violent, et que le monde serait bien triste si à chaque fois que l'on se trouvait face à une provocation, on répondait par un poing dans la gueule, un coup de couteau dans le ventre, ou un coup de revolver dans la poitrine de son agresseur. Que nous passons également beaucoup de temps à expliquer au provocateur que les choses qu'ils disent, sur la maman, la sœur, ou les préférences sexuelles de leur interlocuteur en tant qu'injures, et bien ce sont des choses qui ne se font pas.
Vous-même, vous avez tapé avec la tête, parce que la tête est la chose la plus puissante que vous aviez "sur vous" au moment de votre altercation avec votre provocateur. Vous auriez été un de ces petits jeunes, vous vous seriez promené avec un couteau, comme c'est malheureusement devenu "la normalité" chez pas mal d'entre eux, j'en serais presqu'à me demander ce que vous auriez fait…
Savez-vous Monsieur Zidane que ce message de non-violence que nous essayons tant bien que mal à inculquer à nos éleves est ma fois fort difficile à faire passer, et que désormais il sera encore moins évident de convaincre nos charmants bambins, surtout s'ils sont fans de foot, et qu'ils vous apprécient en tant que joueur, jusqu'à vous prendre pour modèle?
Alors oui, je sais, vous étiez certainement dans une situation de stress intense qui explique beaucoup de choses. Excusez-moi, mais vous êtes payé également en conséquence pour peut-être supporter ce stress. Chacun à notre petit niveau, nous sommes également sous pression, avec plein d'emmerdements, ce qui ne nous permet pas de réagir comme vous l'avez fait ce 9 juillet.
Et lorsque je lis sous la photo de votre coup de boule sur la couverture d'un hebdomadaire merdique de votre beau pays "Bravo Zidane", lorsque je commence à comprendre que vous passez presque pour un héros pour de nombreuses personnes dans votre pays pour ce que vous avez fait ce soir-là (que vous en soyez un pour votre carrière professionnelle, je ne le nie pas une seconde) eh bien je commencerais presque à avoir la nausée.
Lorsque nous entendons, ma femme et moi, un petit gars d'une dizaine d'années qui voit un surveillant de parc d'attraction porter un pull "Italia" et dire à son copain "Passe-moi une carabine, qu'on le descende", faudrait pas que j'aie trop mangé de barbe à papa pour me sentir vraiment mal.
Cela ne va pas mieux lorsque j'apprends que votre maman excuse votre geste, allant jusqu'à demander quelques éléments des parties génitales de celui qui vous a insulté sur un plateau. Moi, si des parents se comportent comme cela après que je les ai convoqués pour leur expliquer la bêtise de leur fils, d'une part, je me dis que ça explique bien des choses, et surtout, je vais plus loin et dénonce le cas à qui de droit.
Et puis, que dire de l'actualité de ces derniers jours? Certes, de la violence, il y en a toujours eu. Mais comme par hasard, vendredi passé, un petit jeune a planté un couteau dans le ventre de son congénère parce qu'il avait manqué de respect à sa sœur, et pas plus tard qu’hier soir, une jeune fille a subi une tentative d'étranglement avec un fil électrique, et a été tailladée à la lame de rasoir par des copines parce qu'elle avait proféré soi-disant quelques injures racistes.
Je ne veux pas vous mettre tout ça sur le dos bien sûr, mais comment expliquer à ces jeunes délinquants que ce qu'ils ont fait est une catastrophe, puisque l'insulte explique selon vous l'acte violent? Peut-être vont-ils s'excuser, mais ne pas regretter… Comme vous.
Alors voilà.
Ce soir je suis toujours un peu triste pour vous, mais je suis surtout révolté, parce que j'ai l'impression que pendant votre conférence de presse, vous n'avez pas su montrer à quel point votre geste était inadmissible. Vous auriez pu court-circuiter le mauvais exemple, en sortir grandi, ce n'est à mon avis pas le cas, et j'estime que vous avez rendu mon travail, celui de tous ceux qui bossent avec des jeunes, plus difficile.
Je suis révolté parce qu'une partie de la presse vous donne d'une certaine manière raison, ce qui est pire encore…
Je vous prie d'agréer, Monsieur Zidane, l'expression de toute ma considération en rapport avec ce que vous avez donné au football.
 

François Cuneo

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